- ‘’C’est incroyable! Qu’est-ce que je vois? Je rêve ou pas?’’
- ‘’Comment s’appellent-ils tous les deux? Des seuls au monde, des errants, qui ne parlent pas notre langue. Et il a encore la même casquette, non! C’est un béret. Le chien a un nom bien bizarre, comme La Mama, Gros Toutou ou Fat Mama, comme la chanteuse de blues du Cap Vert. C’est vrai, le soir à la pleine lune, son chien chante avec son maître ’’.
- ‘’ Et lui, ça ressemble à un nom russe, Igor, Victor, Hector; ça va me revenir. Toujours propres, nos touristes, mais perdus. Vous vous demandez de quoi je me mêle, moi la commère que je suis? Je me promène beaucoup dans ce quartier ou j’ai déménagé au moment de ma retraite; je suis maintenant brigadière scolaire, et j’ai bon œil sur nos enfants. Comme cet homme a un comportement étrange, je l ’observe’’.
Victor fait sa première marche matinale grâce à sa protectrice canine qui a un enjeu jour après jour. Ils vont donc dans le vieux port, tels deux vieux copains. La boulangère réserve pour Victor une belle brioche invendue de la veille, accompagnée de café; elle garde pour le ‘’Gros Toutou’’ des gros quignons qui feraient le régal de bien des clients. Ainsi va la journée, ils parcourent les rues, lisent les affiches, cherchent ensemble la lune. Bien sûr, les gens placotent; ils supposent que ceci .., imaginent que cela…, et rajoutent une blague anodine et drôle, qui frappe les esprits, qui met un peu de piquant dans le passé de Victor.
Lui, il n’est pas sot, il comprend même sans paroles. Les regards, les attitudes, les soupirs ravitaillent ses interprétations. Il aime se réfugier dans la foule des habitués de La Maison du Père; il est aussi bien accepté à la Maison de la Marine ou on ne lui pose aucune question. Ce n’est pas qu’il ait quoi que ce soit à cacher, il est très discret, et même secret. Il sait que la nature confronte les espèces et que, tant qu’il ne parle pas leur langue et tant qu’il n’occupe pas un travail jugé digne, sa meilleure défense est de faire le caméléon, d’avoir le profil bas.
Cependant son compère a plusieurs tours dans son sac : ayant remarqué son succès suite à son Ode à La Lune, style ‘’Nouvelle-Orléans’’, le chien initia ses vocalises trois soirs de suite pour une planète bien dessinée. Il bouscula son maître et il se dédommagea à grands coups de langue.
Victor saisit cette invitation en entamant un chant du même répertoire, et un état de grâce s’établit tout seul. Dans la pénombre, par cette soirée de fin du printemps, un rituel vient de se créer en ce lieu peu fréquenté du vieux port.
Une plaque en cuivre est gravée pour
SE SOUVENIR DE CES MOMENTS PRÉCIEUX OU
L’HOMME N’EST PLUS UN LOUP POUR L’HOMME.
Chacun et chacune, accompagnés de leurs muses, sont invités à exprimer par leurs chants leurs sentiments et leur espérance.
De Victor et de sa muse Fat Mama.
Marie-José Trévis
Le 12 avril 2021