Je valse avec vous, pour quelques minutes ou près d’un siècle. On cesse de me calculer à l’instant où le tambourin se tait. Trop tôt et subitement. Très tard et lentement.
Au début de votre histoire, vous me trouvez infiniment lent. Vous rêvez de m’apprendre la gigue, une danse qui swingue et vous propulserait hâtivement vers la liberté. Plus j’avance, plus je glisse rapidement dans vos vies. Par un beau jour d’automne, vous souhaiterez m’étourdir, m’endormir avec une pomme empoisonnée. Pour que je me réveille dans cent ans, vous accordant une pause d’un siècle. Lorsque les premiers signes de péremption se manifestent, vous commencez à me haïr. Vous tentez de me diminuer, usez de potions, de crèmes, de ruses et d’exercices. Vous m’implorez un répit. Pour éterniser une belle époque. Mais aucune fontaine ne saurait m’avaler.
J’avance. Peu m’importe les ravages occasionnés. Je panse certaines blessures, j’en provoque de nouvelles.
Je suis partout.
En vous. Diffus. Parfois incohérent. La carcasse, le cœur et la tête dansent sur diverses cadences. Elle surgit des entrailles d’une autre, se développe, s’allonge, se disloque, se fane et se décompose. Il bat, s’amourache, s’ébrèche, se rafistole, ralentit et s’éteint. Une pensée émerge, se construit, se définit, s’adapte, collectionne les souvenirs, puis oublie.
Je suis inéquitable. Je m’offre à tout un chacun, mais pas dans la même mesure.
J’ai plus d’importance que vous ne le dites et moins que vous ne le pensez.
Demain sera comme hier. J’attraperai de nouvelles proies qui partiront de zéro, fripées et craintives. Je perdrai des fervents qui auront atteint la fin de leur chemin, fripés et craintifs.