La page fendue de Jo du Lac
( À partir de « La foi du braconnier » Marc Séguin) Page 70.
* Pas facile de prendre la plume à la suite de Marc Séguin. Mais, je ne regrette pas l'exercice.
Fin octobre, il fait froid et les nuages gris glissent
sur le ciel mais latéralement, presque comme s’ils couraient
car il vente fort. Tout près d’une vallée perdue
dans ce continent du Midwest américain coincée par les masses
montagneuses, les prairies offrent au tourbillon des
milliers de kilomètres pour prendre son envolée.
Ici les nuages ne se vident jamais du paysage céleste. Ils s’accrochent.
J’ai fait tellement d’argent, plus encore
les dernières années avec la contrebande des produits de tabac que
je m’en suis dégoûté. Plus rien qui m’intéressait.
Les compagnies étaient de la partie. Tous attendaient l’heure
du départ des camions de livraison blues et rouge que
les gars d’Akwesasne volaient sans problèmes
par un signe de la main au chauffeur récompensé secrètement
par quelques cadres de l’usine aux États-Unis. On camouflait
la cargaison pour une heure, le temps de passer la frontière.
On s’occupait de « sauter » les douanes aux heures creuses.
Juste en face d’une ville canadienne.
Sur le lac Saint-François, vis-à-vis de la réserve indienne.
Et on apportait des cartons de cigarettes par centaines
de nuit à Sainte-Barbe et ailleurs au Québec pour
les revendre à gros prix à des dealers de différentes réserves
ou à des Blancs, directement dans les magasins de la route…
J’ai eu quatre voitures payées par cette contrebande dont
une Ferrari Modena 360, rouge avec des « mags » chromé noir.
Un tape-cul raide et sec que j’ai planté dans le salon
d’un gars à qui j’ai refilé mon business et qui tardait à me payer.
Philosophiquement c’était une caisse qui posait problème
parce que l’envie des autres à en posséder une attirait la
familiarité que je commençais à ne plus supporter.
À tous les carrefours, des gens se précipitent, le bolide les attire,
ils t’incitent à faire tourner la machine et à partir sur les chapeaux de roues.