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Journal de Virginie

Journal de Virginie


Jour 1 :

Canapé rouge, plantes vertes, bibliothèque de style colonial, meuble de télévision : les images de mon décor collées à ma rétine m’hypnotisent. Rien ne bouge, pas même mon attention qui devrait se fixer au livre que je tiens à la main. Mon esprit se vautre dans les vallons de saute-moutons, joue à la cachette entre le coq et l’âne. Rien ne bouge, mais je le devrais pourtant. Les bruits urbains lointains des machines excavatrices, des camions de vidange et des marteaux-piqueurs me rappellent à l’ordre : le matin a déjà commencé son rythme de travail effréné. Allongée sur ma méridienne, lovée dans mon châle, je me languis dans sa torpeur chaleureuse, ankylosée. À force de fixer mon décor, je perçois les objets m’entourant qui se décollent dans leur aura. Ils sont moi. Je n’entends plus le ronron de la ville au loin, j’essaie d’écouter le silence, curieuse de savoir ce qu’il a à m’apprendre.


Jour 3 :

Des dizaines de branches grises et sèches recouvrent le maigre duvet du gazon. L’hiver lourd de pesanteur les aura fracassées. Je les ai connues vertes et gonflées de sève. À présent, elles se vautrent sur le sol comme des carcasses, vidées de toute vie.


Jour 5 :

Mes pieds boueux tentent de se frayer un passage dans ce sentier que je connais par cœur et que je dévale d’habitude en ski. Toute neige a disparu et a laissé dans son sillage des chemins trempés et bruns. Un chant tonitruant me fait lever la tête; celui d’un tout petit oiseau noir perché au-dessus de moi. Seule une fine rayure colorée orne son pelage sombre. Il siffle de son ramage perçant, presque vaniteux, lui pourtant si minuscule parmi les grands arbres. Je marche à en faire souffrir mes articulations. Je marche. J’ai sans doute parcouru trois fois la circonférence du parc en regardant mes pieds et ces quelques bernaches peu farouches, revenues de leur périple hivernal. Elles s’agitent près de la rivière. Le vent me donne des frissons tandis qu’elles lissent leurs plumes.


Jour 6 :

J’ai abandonné les jours impairs.

Je roule à vive allure, masquée, mon ami à mes côtés. Il me raconte tous ces projets, présents et à venir, remplissant l’espace qui nous a séparés ces derniers mois. Depuis combien de temps ne l’avais-je pas vu? La vitesse de l’autoroute et son babillage m’étourdissent, mais la liberté goute bon. Les paysages aux collines savoureuses me régalent de leurs formes généreuses. On roule pour respirer dans de nouveaux coins de pays. Quand allons-nous vraiment parler lui et moi?


Jour 7

Aujourd’hui, le soleil gonfle d’espoir les draps que j’ai accrochés sur la corde à linge; les portes et fenêtres ouvertes font respirer la maison. Les premiers crocus ont déjà émergé de la terre dans leur corolle mauve. Mais à quoi ça sert de planter des bulbes à l’automne quand mon gros matou se vautre à cœur joie dans les plates-bandes printanières à peine naissantes? Je contemple son bonheur. Il se tortille dans le sol à peine dégelé.

Les énormes branches cassées par la tempête gisent encore sur le gazon et je ne les ai pas coupées. Je devrais les disséquer en très petits morceaux .

Je chasse Gustave, le chat d’à côté, qui a pris la mauvaise habitude de manger dans la gamelle des autres.

Tous les voisins placotent sur le balcon. Je les perçois dans leurs langues aux rythmes différents. Je me bouche les oreilles avec mes écouteurs afin de mieux entendre ma propre musique.



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