Journal de Rabenje Margouillat
De la fenêtre de mon bureau, mon regard vague se promenait sur le grand chêne dénudé de la cour sur lequel quelques vaillantes feuilles marrons s’accrochait à la vie. Le ciel gris automnal annonçait une chute de neige pourtant improbable.
Cela fait trente-six ans que je le regarde pousser et que je l’apprécie pour la vie qu’il crée sur lui et autour de lui.
Je n’avais aucune activité cérébrale sinon celle de contempler le vieux chêne sans le voir. Une rafale fit tournoyer les limbes des rares feuilles marrons toujours rattachées à leurs tiges par leurs pétioles. L’une d’elles capta mon attention. Elle résistait malgré la force du vent.
L’impitoyable vent finit par avoir le dernier mot en rompant son point d’attache avec celui qui lui avait donné la vie. Lentement, elle plana vers le sol en virevoltant. Le spectacle prit fin lors de son atterrissage. Alors pouvait commencer sa décomposition, sa deuxième vie. Elle servirait à son tour de festin à la flore environnante. Surtout pour son grand chêne dont les racines se trouvaient en dessous d’elle. Elle savait alors qu’elle serait réincarnée dans une autre vie de feuille.
30 novembre 2020
Sous le grand chêne cinquantenaire de la cour, trois ou quatre écureuils cherchaient frénétiquement des glands enterrés durant les semaines précédentes. Les prévoyants avaient approvisionné leurs cachettes par d’innombrables allers et retours depuis leur généreux bienfaiteur, le grand chêne, et leurs cachettes.
L’un d’entre eux, sans doute l’ado de la bande qui se comportait comme la cigale plutôt que la fourmi de la fable de La Fontaine, courait au sol d’arbre en arbre. Toujours au même endroit, il se saisissait de la même petite branche et jouait en faisant des cabrioles avec celle-ci. Ses bonds étaient spectaculaires et d’une vivacité surprenante pour cet animal en général calme et intelligent. Ses congénères ne toléraient pas ses élans énergiques et se relayaient pour le pourchasser dans toute la cour. L’insolent ado semblait se réjouir d’avoir enfin des amis.
1 décembre 2020
Tandis que je cherchais une planche de bois dans mon sous-sol en me penchant dans un endroit où je n’ai pas l’habitude d’aller, je sursautai en apercevant sur sa toile, une araignée aux longues pattes très fines.
En la détaillant de plus près, je remarquais ses huit yeux. Au fait, combien d’entre eux m’observaient pour me surveiller ! Je me disais qu’il faut avoir un cerveau plus performant que le nôtre pour contrôler indépendamment chacun des huit yeux.
Elle commença à se balancer latéralement pour signaler sa présence. Je supposais que je devais prendre au sérieux ses menaces à peine voilées. Une morsure de sa part, bien qu’inoffensive, devait être désagréable et peut-être vexante venant de cette insignifiante aranéide. Je ripostais aussitôt en l’imitant. Rien n’y fit malgré mon avantage de poids d’environ 31627 fois.
2 décembre 2020
Par un après-midi d’automne sur un boulevard de mon quartier, je marchais sous les arbres dont la nudité annonçait l’arrivée de l’hiver.
La courtoisie était de mise entre les passants croisés et moi-même. Le mur de l’isolement était momentanément perméable, ce qui apportait un réconfort à saveur humaine en ces temps de pandémie. Les animaux accompagnant leur maître manifestaient leurs contentements, certains avec énergie.
La tenue vestimentaire était variée, les uns étaient emmitouflés en prévision de l’hiver, d’autres, plus sobrement vêtus, défiaient parfois la fraîcheur automnale et enfin les sportifs dans une tenue colorée signalaient leur présence.
Au loin, un homme seul debout se tenant sur le bord du trottoir, observait la circulation automobile. Son habillement aux couleurs multiples se démarquait de celui des promeneurs. Il était visiblement insuffisant et portait les marques de l’usure du temps. L’homme se retournait fréquemment pour voir qui circulait sur le trottoir. Difficile de savoir ce qui était véritablement son point d’intérêt, la circulation ou les promeneurs.
Crissement de pneus strident qui fit tourner les têtes vers sa provenance. Etendu à plat ventre sur la chaussée, à quelques centimètres de la voiture arrêtée, l’homme habillé aux couleurs multiples semblait pétrifié. Il se releva avec un air renfrogné et partit en grommelant.
3 décembre 2020