Journal de Guylaine
Samedi matin
Du fond de mon sommeil, j’entends une longue plainte. Plus je m’éloigne de mon état de veille, plus le gémissement devient fort à mon oreille.
Ça y est! Je suis maintenant assez réveillée pour reconnaitre le chant du chat. Cette monosyllabe qui se répète à l’infini, inlassablement, invariable en durée et en tonalité. Toujours le même crescendo.
Je mets le pied par terre, étire mon bras pour prendre mes verres et me dirige vers la porte.
Le chat m’a entendue, le chant monte d’un ton, devient plus aigu.
J’ouvre la porte, le chat se laisse tomber par terre, se tortille, fait le beau. J’enjambe le félin pour aller vers la salle de bain. Il me suit, passe devant moi, me regarde en miaulant, fait le tour de mes pieds. Je marche sur une de ses pattes. Exclamation de douleur mais le chat continue de m’escorter.
Je m’installe pour faire pipi, je ferme les yeux, encore endormie.
Le chat passe entre mes jambes, je sens la douceur de ses poils sur mes chevilles. Le chat ronronne, on dirait un pigeon qui roucoule.
Je me lave ensuite les mains et le visage au lavabo. Le chat grimpe sur la cuvette, miaule encore, me fixe du regard. Je soupire. Mon regard passe sur le chat sans vraiment le voir.
Je ferme les robinets, me brosse les cheveux. Le chat grimpe sur le comptoir, miaule de plus belle, pose une patte sur mon sein. Je recule, il tombe dans le lavabo.
Pour appliquer mon mascara, je m’approche du miroir. Le chat touche ma joue de sa patte. Je le pousse d’un coup de coude, le chat tombe par terre. Je termine l’application de mon mascara, ferme la lumière et me dirige vers la cuisine.
Le chat court, s’arrête devant moi, pousse une longue plainte. Je le pousse du bout du pied, me verse un café et m’en vais en direction du salon.
Le chat me saute sur les chevilles, me mordille les mollets.
Je lui verse sa ration de nourriture et m’assoies sur le divan. Le chat regarde son bol, ne prend rien, vient s’installer à mes pieds et miaule encore en me regardant.
Je regarde les nouvelles sur mon cellulaire. Le chat saute sur l’accoudoir, me fixe de son intense regard.
Je dépose mon cellulaire, donne quelques petites tapes sur ma cuisse.
Le chat comprend et vient se lover contre moi. Il est installé comme un bébé, le bedon vers le ciel, la tête posée au creux de mon coude, ses yeux dans les miens, sa patte me caressant la joue et la mienne caressant la sienne…
Qui a dit que les chats étaient indépendants?
À pareille date, il y a 6 ans...
Sous un parasol, sur une plage de Cuba.
Le soleil est à son zénith. Difficile d’ouvrir les yeux tellement la lumière est blanche, intense, ardente.
Au loin, j’aperçois une silhouette féminine. Maillot foncé sur peau pâle. Elle marche lentement sur la pointe qui s’élance vers l’océan.
Elle s’arrête, regarde partout autour, descend une à une les bretelles de son maillot, dégage ses bras, laisse le tissu cacher sa poitrine. Épaules dénudées, elle recommence à marcher.
Elle regarde à gauche, à droite, derrière. Elle est trop loin pour capter mon regard et voir que je l’observe. Elle glisse son maillot jusqu’à sa taille. Elle lève la tête vers le ciel sans nuage, déploie ses bras tels des ailes et laisse le chaud soleil embrasser sa poitrine, sa gorge et son visage.
Elle marche jusqu’à ce que ses pieds touchent l’eau turquoise, avance sans ralentir et se met à nager dans ma direction. Plus elle se rapproche, plus j’arrive à distinguer son visage; petits yeux, nez volumineux, bouche charnue.
Elle s’arrête, semble se tortiller. Je vois soudain un morceau de tissu noir à sa main; son maillot de bain!
La voilà nue sous cette eau, mais je ne vois pas les détails, seulement la couleur de sa peau.
Elle se couche sur le dos, l’eau salée la soutenant sans qu’elle n’ait à bouger.
Je distingue hors de l’eau le bout de ses orteils de rouge colorés. Également le profil de son visage et son ventre rebondi. Entre les deux, des seins aux mamelons durcis.
Son corps est en étoile, bercé par les douces vagues. Parfois il disparait de mon champ de vision pour mieux y revenir par la suite. Il m’arrive même d’apercevoir à l’occasion la toison foncé de son mont de Vénus.
Pendant que je me délecte de ce spectacle, il me vient moi aussi l’idée d’offrir ma poitrine aux éléments de la nature. Je descends donc à mon tour mon maillot et laisse le vent caresser ma peau.
Je vois ma muse se tortiller à nouveau. Je devine qu’elle remet son maillot.
Elle sort de l’eau.
Je prends mon livre pour ne pas avoir l’air de l’observer, mais je vois tout de même qu’elle marche vers moi.
Quand elle passe à ma hauteur, je ne peux m’empêcher de lever mes yeux vers les siens. Elle me fait un clin d’œil en poursuivant son chemin et va rejoindre son compagnon quelques chaises plus loin.
Jeudi, autour de 9h30
À travers la fenêtre de mon bureau, j’observe les enfants qui jouent dans le local d’à côté.
Ils sont 6.
Six enfants dont les âges se situent entre 11/2 an et 2 ans.
La petite blondinette, celle qui a deux couettes, s’amuse à grimper sur le coussin bleu et à se laisser tomber sur le tapis épais et moelleux. Son visage est rouge. Des mèches de cheveux se sont échappées des élastiques qui les tiennent et retombent dans ses yeux. Chaque fois qu’elle tombe sur le tapis, un sourire se dessine sur son visage, elle pousse ses cheveux d’une main, se remet sur ses pieds et remonte sur le coussin.
Le garçon au chandail rouge observe la scène pendant une minute ou deux, s’avance vers la demoiselle aux couettes et monte sur le coussin bleu.
La fillette fronce les sourcils et pousse le garçon qui tombe sur le tapis.
Le garçon se met à pleurer et la fillette le regarde.
L’éducatrice vient vers les enfants, s’agenouille et dit quelque chose au garçon. Le garçon continue de pleurer en pointant la fillette du doigt. L’éducatrice ouvre les bras et le garçon s’y réfugie quelques instants. D’un signe de la main, l’éducatrice demande à la fillette d’approcher. Elle lui dit quelques mots en montrant le garçon de la main. La fillette part en courant et revient avec un mouchoir qu’elle tend à l’éducatrice. Celle-ci mouche le garçon et lui donne le mouchoir qu'il va porter à la poubelle.
Quand il revient, l’éducatrice est en train d’installer un deuxième coussin.
Les deux enfants grimpent et sautent sur le tapis. En tombant, ils se regardent et éclatent de rire. Ils grimpent et sautent et rient à nouveaux à plusieurs reprises.
L’éducatrice les regarde et elle sourit.
Elle s’approche ensuite des enfants, leur dit quelques mots et retire un coussin.
Les enfants recommencent à sauter. Le garçon d’abord, la fillette ensuite, pendant quelques minutes. Les enfants éclatent de rire chaque fois que l’un deux atterri sur le tapis.
Mine de rien, l’éducatrice a aidé les enfants à pratiquer une habileté sociale : Celle d’être capable d’attendre son tour.