Entre l'éveil et le rêve
COURSE VENDÉE GLOBE
Je suis dans un état second, entre l’éveil et le rêve, mon corps, mes membres sont lourds comme du plomb, le tout s’est enfoncé dans le creux du matelas, entre le sac de couchage, et un paquet de vêtements humides.
Peu à peu, mon esprit se remet à penser : 1) chaque chose à sa place; 2) tu retrouveras plus vite tes affaires; 3) le mouillé, humide, séchera mieux; 4) moins de risques de trébucher; 5) tes affaires ont moins de chance d’aller à la mer.
Je flotte encore un peu, paresseusement. La nuit que je viens de passer face aux monstres marins m’a vidée de mes forces. Mes sens reviennent à la vie : Le flap flap des voiles a le rythme rassurant d’un métronome. Une poudre jaune d’or fait clignoter mes paupières, tandis que des traînées d’eau salée dessèchent ma peau. J’ai soif et tous mes muscles sont courbaturés. Tout ce Moi n’a pas d’autre choix que d’obéir à son « chef», urgence matinale oblige !
Il doit être 4:00 a.m. et la terre est toujours ronde, le lever du soleil borde sa courbe parfaite d’un anneau d’or qui s’agrandit, grandit, grandit, pour faire place à des cercles bleus, puis orangés et roses. Cette aurore est aussi spectaculaire de beauté que les flots déchaînés ont été diaboliques pendant la nuit. Ces cadeaux du ciel me comblent et m’émeuvent autant que la première fois. Ils font déborder mon cœur de reconnaissance, des larmes de joie remplissent mes yeux, et j’en retrouve presque ma gaité naturelle. J’en oublierais les tracas, les embûches et les fracas de la veille. CAR IL Y EN A EU…
Hier matin! Les prévisions météo étaient justes et vers midi, le vent s’est levé, irrégulier, par rafales, poussant en tous sens, provoquant la surface des eaux qui se gonflèrent en dunes de mer. Mon bateau est devenu un bouchon, craquant de douleur lorsque de fortes vagues de sens opposé le tordaient à le briser. Sa coque n’est qu’une coquille de noix sous les feux de projecteur de la foudre; Ses mâts sont comparables à deux baguettes chinoises cherchant à saisir des nouilles glissantes. La grand voile a claqué si fort que son attache, tout en haut du mât, a nécessité une réparation d’urgence. Ça ne peut pas être moi, j’ai le vertige, j’ai le mal des hauteurs; et ce vent fou décornerait des bœufs. Qui d’autre, alors?
Il a fallu que je monte trois fois de suite dans la nuit noire, grelotante de froid, tremblante de peur, laissant tomber un outil, sous l’assaut du vent, de la pluie et des vagues gigantesques. Un exploit qui m’a sauvé la vie, un exploit dont je suis très fière. Cette course se fait en solitaire, sans assistance et sans ravitaillement, au départ des Sables d’Olonne en Normandie; nous partons pour environ 70 jours de navigation, au nombre de 35 hommes et 7 femmes.
C’est ma première si longue course autour de la terre, dans l’hémisphère Sud, en passant par les grands caps, là où les océans s’affrontent : Cap de Bonne Espérance, Cap Leeuwin, Cap Horn et Point Nemo.
Je m’appelle Clarisse, j’ai fêté mes 31ans en solitaire, et par caméra avec ceux que j’aime. « J’aime la vie et ma philosophie repose sur ce prémisse. Bien faire ce que je décide de faire, fournir les efforts nécessaires, ne pas prendre de risques inutiles qui puissent compromettre la finalisation de mon projet. >>
Marie-José Trévis, le 20 janvier 2021