Conte du pourquoi ? Jo du Lac
Un conte destiné à mes petits-fils. Lire à voix haute augmente le plaisir...
Aux premiers temps de l’histoire de notre planète, le ciel ouvrit tout grand son espace pour accueillir les oiseaux. La mer foisonnait de poissons de toutes les couleurs et la terre fourmillait d’une multitude d’insecte. Puis, par une belle matinée de printemps, une drôle de créature fit son apparition.
Ce jour où on l’aperçut, sortant d’un marais aux eaux troubles, on vit juste une toute petite tête. Grosse comme un pouce. Pas de pattes, même pas de corps à proprement dit: à peine une queue frétillante.
À quoi pouvait bien servir une bibitte pareille?
Elle émergeait de l’eau, mais elle n’avait rien d’un poisson.
Prenant une longue bouffée d’air, elle se gonfla soudain comme un ballon.
Freux, l’affreux corbeau au bec sec, s’approcha pour examiner cette chose qui ressemblait à une grenaille, croyant découvrir une nouvelle sorte d’insecte.
Voyant la créature de près, il ne put retenir un fort croassement «Croaw-Croaw-Croaw». Si fort que la pauvre grenaille toute molle qu’elle était (on aura dit une nouille trop cuite) se sauva en rampant vers les roseaux.
Aaron le héron, s’adressant à Freux l’affreux, lui dit d’un air fanfaron: — T’as peur d’une petite nouille?
Puis se dirigeant de son pas dansant vers la nouvelle venue: — Allez grouille-toi si tu veux pas te faire bouffée!
La pauvre nouille croyait sa dernière heure arrivée, alors qu’elle venait à peine de vivre la première.
- Quoi, s’écria l’aigle Royal perché sur son gigantesque pin, qu’est-ce que tu as vu; une gre-nouille. C’est quoi ça?
La petite tête s’étira alors vers la cime de l’arbre et aperçut l’oiseau impérial.
— Que vous êtes beau! Êtes-vous le roi du monde?
L’aigle, flatté, déploya ses ailes dans un bruit de froufrou et répondit:
— Du monde peut-être pas, mais je suis le roi du ciel. Et toi qui es-tu?
— Je sais pas encore, je ne suis pas finie… je n’ai même pas de pattes!
- Peu importe, s’exclama l’oiseau de proie, je te trouve mignonne: tu seras ma Reinette…
Tellement heureuse, la grenaille devenue grenouille la Reinette, se vit poussées des ailes… en fait, disons plutôt des pattes. Surprise par le bonheur, qui à nouveau la fit se gonfler, elle se sentit pour un instant gênée. Sa robe verte en fut tout à coup tachetée de grains rouges: de toute beauté.
Son corps prenait forme; ces pattes grandissaient et grandissaient lui permettant de se déplacer vite et bien.
L’aigle, qui l’avait pris sous son aile, l’encouragea même à sauter pour aller plus loin. Ses bonds l’emmenèrent au-delà du marais, dans un pré fleuri où l’abondance d’insectes la rendit folle de joie.
Voulant s’exprimer, elle laissa échapper un son à la fois mélodieux et rauque.
Comme elle n’avait entendu de sa jeune vie que le croassement du corbeau, elle avait tenté tant bien que mal de l’imiter.
- Que fais-tu demanda Aaron le héron qui l’avait suivi dans la prairie?
- Je coasse… répondit-elle la bouche pleine.
Tous ceux qui étaient là ne purent se retenir de rire.
Mais lorsque son ami l’aigle, glatit… plus rien on entendit.