étrangeté
La lune brillait cette nuit-là d’une surprenante intensité. Il me sembla qu’elle me baignait de couleur et m’empêchait de dormir. À travers les carreaux, ronde, pleine, on ne voyait qu’elle comme un œil étrange. Il y avait dans l’air des fragments d’étoile, celles-ci, immobiles, poussière d’un jour et d’un autre temps, donnaient une autre dimension au monde.
Je me relevais silencieusement, presque éblouis et remarquais la douce silhouette paisible au ronronnement faible. Allongé sur le rebord de la fenêtre, mon petit chat des rues s’adaptait tendrement à sa récente vie. Il me vint l’envie de le caresser, de le toucher, mais je craignais aussi de l’effrayer, de déranger ce nouvel ordre établi.
L’impressionnant félin tigré orangé ouvrit l’un de ses yeux verts reptiliens. Une certaine sauvagerie et délicatesse se dégageait de lui. Il avait une façon bien supérieure aux autres chats que j’avais rencontrés de se comporter. Il n’utilisait pas la litière ni ne supportait de manger autre chose que mes propres plats. Parfois, j’avais l’intuition qu’il me comprenait.
Je tendis la main, et doucement murmurai :
— Viens là !
L’animal s’étira d’abord puis lentement, avec la grâce du félin, sauta dans ma direction. Il déchiffrait si bien mes mots que j’en restais toujours très étonnée. C’était surtout sa manière de m’obéir qui me perturbait. Lorsqu’il s’exécutait, il me fixait sans jamais se détourner, comme à cet instant. Je me sentais presque devenir une proie. La lune rendait son pelage brillant, changeant, interminable. Et puis, à chaque foulée, il me sembla le voir grandir, s’allonger.
Je clignais plusieurs fois des cils pour être sûre de ne pas rêver, pour être sûre de ne rien imaginer. Je retins ma respiration alors qu’il approchait, les yeux verts reptiliens toujours braqués aux miens. Et soudains, devant la lune, devant moi, il prit forme humaine. La forme d’un homme, un homme trop imposant pour lui au regard perçant, aux cheveux dorés, aux visages de fée.
— Qui es-tu ? m’entendis-je murmurer, le cœur tourbillonnant de peur, mais aussi d’admiration.
— Je suis le roi… Et toi tu seras ma reine…
Sa voix était chantante, douce, mais tout autant empreinte d’un savoir d’un autre monde. Mes veines m’ébouillantaient.
Reine, disait-il, mais reine de quoi ?